Vous seriez sans doute surpris d'apprendre combien de mes critiques ont été écrites dans une salle d'attente. Le pourcentage est plus élevé que nécessaire, à mon avis. J'ai attendu pour Sandra, sa famille, moi-même, etc. Les raisons sont multiples et sans importance pour ce texte. Mais sachez que le système de santé et moi, nous nous connaissons de mieux en mieux.
La semaine dernière, après des années de douleurs intermittentes, mon appendice a finalement rendu l'âme et j'ai dû être opéré d'urgence. J'ai passé quatre jours à l'hôpital, ce qui m'a permis de me familiariser encore plus avec l'hôpital Charles LeMoyne.
À la suite de cette intervention que j'ai décidé de vous parler de mon expérience culinaire à cet établissement. J'ai longuement songé à placer cette "critique" dans un de mes autres blogues qui traînent ici et là sur l'Internet. Mais ultimement, je veux vous parler de nourriture et j'aimerais rejoindre plus de lecteurs que moins, alors aussi bien profiter de cette tribune. Si vous êtes un visiteur régulier à la recherche d'une critique de restaurants et que mes impressions des repas qui m'ont été servis ne vous intéressent pas, vous pouvez sauter ce texte et attendre quelques jours pour une critique régulière. Elle ne devrait pas tarder. Pour les autres, les quelques lignes qui suivent pourraient vous intéresser.
En tout premier lieu, j'aimerais prendre la peine de mentionner à quel point j'ai été impressionné par le travail de mon chirurgien (et de son équipe), des infirmières, des auxiliaires et des préposées qui se sont occupés de moi. Tous et toutes ont fait preuve non seulement d'un grand professionnalisme, mais aussi d'une humanité très appréciée lors de ces quelques jours difficiles. Même les employés responsables de l'entretien étaient courtois, aimables et souriants. Mis à part quelques petits oublis, tout était quasi parfait.
Je ne peux malheureusement pas dire la même chose de mes repas.
C'était la première fois qu'on m'opérait et je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Depuis l'intervention sous anesthésie générale, j'essaie de vérifier ce qui a pu changer en moi. Mon appétit? Mon goût?
Après une nuit de sommeil bien appréciée, je n'avais toujours pas très faim. Mon premier déjeuner consistait en une diète liquide assez simple: jus de pomme, gelée à saveur de fruits, café et bouillon de poulet. Rien de bien consistant, mais en plein ce dont j'avais besoin.
Par la suite, certains éléments sont revenus à presque tous les repas: un jus de fruits et/ou un fruit, du lait, des biscuits Premium Plus, de la margarine, de l'eau chaude pour du thé, sachet de sel et sachet de poivre, etc. Des trucs de base. Avec ça, une soupe, un plat principal et un dessert.
Pour mon premier dîner, j'ai eu droit à une soupe aux légumes, deux tranches de boeuf sous une sauce brune, des pommes de terre en purée (probablement à base de poudre quelconque et d'eau) et un pouding à la vanille. Côté goût, c'était assez ordinaire. Je ne m'attendais pas à grand-chose, je connaissais la réputation des cuisines d'hôpitaux. C'est après que la situation s'est détériorée.
Pour souper, j'avais une autre soupe simple et presque mangeable. Mon plat principal était une sorte de pain de viande de jambon, pommes de terres en purée (encore...) et une autre purée de ce qui me semblait être du navet. Je commençais déjà à moins apprécier les pommes de terre. Ce n'est pas qu'elles étaient sans saveur, c'est qu'elles n'étaient pas très bonnes. Le jambon, lui, était parsemé de morceaux de ce qui m'apparaissait être des légumes. On retrouvait le goût du jambon, mais ce n'était pas tout à fait ce à quoi on s'attendait. Sandra, qui était venue me tenir compagnie, me semblait dégoûtée. Il y avait aussi des mini languettes de "trucs jaunes" que nous n'avons jamais pu identifier. Sandra me disait que certaines étaient du navet et d'autres des ananas (comme dans "jambon aux ananas"). Je ne la croyais pas, mais en goûtant deux morceaux différents j'en ai trouvé un qui était juste mauvais et un autre qui était un peu plus sucré. Un ananas? Impossible d'être certain.
Mon second déjeuner m'a surpris par la présence de deux petites crêpes (et leur petit contenant de "old fashioned pancake syrup"). C'était mangeable. La petite boîte de céréales aussi, mais c'était un truc acheté, donc sans effort de préparation.
C'est avec mon second dîner que j'ai perdu patience. Après la traditionnelle soupe, des boulettes de viande dans une sauce beige et une macédoine de légumes (carottes, haricots et "trucs jaunes non identifiables") et pommes de terre en purée. C'était mauvais. Je répétais sans cesse que je ne pouvais pas concevoir comment je réussirais à cuisiner un truc aussi "méchant". Quels ingrédients aurais-je pu utiliser pour créer une sauce dont le goût était non seulement impossible à identifier, mais qui ne comportait pas la moindre saveur agréable? J'ai mangé trois boulettes. La sauce noyait le goût des boulettes, et vice versa. J'avais aussi atteint un point où la simple vue des patates me démoralisait.
Durant l'après-midi, j'avais des haut-le-coeur en pensant à mon dîner (honnêtement, j'en ai encore en écrivant ce texte). Ce goût. Ce goût! Cet innommable goût! Je me demandais comment je réussirais à manger mon souper. Et si je ne soupais pas, comment pourrais-je enfin réussir à produire cette sacro-sainte crotte dont j'avais tant besoin pour quitter mon lit d'hôpital?
Heureusement, j'ai demandé à mon docteur durant l'après-midi si j'avais atteint un point qui me permettait de manger n'importe quoi. Il me dit que oui, du moment que je faisais attention aux quantités. C'est ainsi que j'ai pu être sauvé par Sandra qui m'apporta un peu de poulet rôti, des brocolis et de l'orzo au parmesan et fines herbes. J'anticipais cette visite avec un certain espoir. Mais je craignais que mon goût ait été temporairement affecté par l'anesthésie et que tout me semble aussi mauvais que ce que j'avais consommé depuis cinq repas.
Je fus heureux de constater que, malgré mon très petit appétit, tout était bon. Les saveurs étaient telles que je m'y attendais. Ouf! Et mon moral recommençait à se pointer le bout du nez.
Mais je n'étais pas encore sorti du bois. Je devais passer au moins une autre journée à l'hôpital. Le troisième déjeuner avait encore des céréales en boîte, deux tranches de pain brun grillées et un muffin. Posez-vous la question suivante: comment peut-on manquer des toasts?! Bon, j'admets qu'avec un peu de confiture, c'était presque endurable. Mais seul, le pain était terrible. Je n'aime pas vraiment le pain brun que Sandra achète, mais j'en aurais pris quatre tranches plutôt que ces deux-là. Et le muffin. En le mentionnant à mes amis, je leur ai dit que je me demandais comment on pouvait faire un muffin aux raisins qui goûtait les haricots verts. Bizarre.
Un peu plus tard ce même matin, une diététiste est passée et nous a offert (à ma voisine de chambre et à moi) une feuille avec un choix de menu pour le lendemain. Une préposée m'a dit être surprise de voir une telle feuille et que c'était une chose extrêmement rare. Certaines personnes restaient parfois deux semaines à l'hôpital sans jamais se faire demander ce qu'elles voulaient. En lisant la feuille, je n'ai pas été terriblement impressionné. Mais j'avais au moins la possibilité de choisir ce qui me paraissait le plus mangeable.
Je fus heureux d'apprendre que j'allais quitter les lieux plus tard durant la journée, toutes les conditions importantes ayant été remplies. Mais il me restait un dernier dîner avant de partir. Bouillon aux oignons (je crois), macaronis dans une sauce blanche qui commençait à coaguler et les traditionnels "trucs jaunes non identifiables". Une "boule rose tiède" à saveur de fruits et aux allures de crème glacée faisait office de dessert. Le macaroni avait la particularité d'avoir réussi à intégrer à sa sauce une partie de l'aspect désagréable de la sauce pour les boulettes de la veille. J'ai mangé quelques morceaux et j'ai laissé le reste.
Je sais que certains croiront que je suis un pauvre petit critique de restaurants plaignard qui n'arrive pas à manger de la nourriture "ordinaire". La vérité est loin de là, croyez-moi. Dans ma vie, j'ai mangé dans des restaurants offrant des mets de très haute qualité et j'ai participé à des repas où ce qu'on offrait était passablement "ordinaire". J'essaie d'apprécier chaque repas pour ce qu'il est et je cherche toujours à concentrer mon attention sur le positif, qu'il s'agisse d'un filet de veau en croûte de pistaches ou d'une dinde trop sèche avec des pâtes mal cuites. Mais ce que j'ai mangé à l'hôpital a dépassé toutes mes attentes. C'était à la limite d'être immangeable.
Dans mon cas, comme dans celui de la plupart des patients (j'imagine), une alimentation saine est primordiale si on désire récupérer le plus rapidement possible. Malgré tout le mal que je peux penser de ce qui m'a été offert, j'ose au moins espérer que c'était bon pour la santé. J'ignore si ça l'était vraiment, mais je crois avoir assez confiance en notre système pour penser que oui. Mais comment peut-on manger ces aliments sains si ce qu'on nous offre nous semble dégueulasse?
N'étant pas journaliste, je ne ferai pas une analyse de la situation des hôpitaux québécois. Si je me fie à ce que je lis dans La Presse, je sais qu'ils n'ont pas d'argent. Et je suis convaincu que les employés (diététistes et cuisiniers) font ce qu'ils peuvent avec des moyens lamentables. Mais dans cette éternelle quête à la réduction des coûts en santé, la question devrait être posée: aurait-on avantage à offrir des repas qui donnent le goût de vivre? Ou, cette situation lamentable est-elle née dans l'esprit démoniaque d'un administrateur qui croyait faire fuir les patients et ainsi réduire les dépenses d'hospitalisation? En plus, imaginez si les cuisines des hôpitaux étaient alimentées par des produits achetés chez des producteurs locaux. Ça ne pourrait que faire du bien à notre économie (cette pauvre Kellogg a-t-elle besoin de notre argent pour survivre?).
À la suite d'une conversation avec Sandra, je propose aussi qu'une fois par année, pendant cinq jours, le premier ministre et son cabinet soient obligés de ne manger que de la nourriture d'hôpital, devant les caméras des médias. Ça leur donnerait au moins le sincère désir d'essayer d'améliorer la situation.
Notre système de santé n'est pas parfait, mais il semble porté à bout de bras par des gens qui croient en ce qu'ils font. On peut toujours offrir des salaires presque raisonnables à une personne et ensuite la motiver en lui disant que son travail est important et qu'elle doit faire de son mieux. Mais je ne vois pas comment on pourrait motiver une boulette pour qu'elle tente d'améliorer sa saveur. Parfois, il faut dépenser un peu plus pour avoir un peu plus de qualité.
Addenda: quelle agréable coïncidence. Aujourd'hui à l'émission L'après-midi porte conseil, sur les ondes de Radio-Canada, il y avait un reportage à propos du service alimentaire de santé McGill, qui offre une formule radicalement différente. Des menus où les gens peuvent choisir ce qu'ils ont envie de manger, à n'importe qu'elle heure de la journée. Semblerait-il que les pertes de nourriture sont beaucoup moindres qu'avec la formule traditionnelle. Et si j'ai bien compris, le budget est le même qu'avant. Impressionnant. Qu'on ne vienne pas me dire que mes propositions ne sont pas réalistes.